Avant de répondre à cette question, il peut être intéressant de tenter de s’accorder sur la définition même du théâtre immersif, si cela est possible.
Au théâtre, le quatrième mur est cette frontière invisible qui sépare les comédiens sur scène du public dans la salle. Si tout le monde s’accorde à dire que ce quatrième mur doit être abattu pour parler de spectacle immersif, il s’agit du seul point qui fasse consensus. Et encore…
Catherine Bouko dans son article «Engagement du spectateur et théâtre contemporain» assure : « Il ne suffit en effet pas de rompre la division frontale entre la scène et la salle pour atteindre l’immersion. La rupture de la frontalité n’est que le premier pas vers une intégration physique immersive. […], certains spectacles maintiennent explicitement la distinction entre les performeurs et les spectateurs. Le port d’un masque par ces derniers cristallise cette distinction.«
On ne recommandera jamais assez de se méfier des érudits qui imposent leur vision sur une question qui appartient pourtant à chaque être humain. Il est périlleux de remplir des cases à tout prix, surtout lorsqu’il est question d’art. Pourquoi ne pas laisser au spectateur la liberté de juger par lui-même si ce qu’il a ressenti était de l’immersion ou non ?
La naissance de ce format de spectacles n’est pas aisée à dater non plus. La presse généraliste se contente de ne retrouver les origines du théâtre immersif qu’au milieu des années 2000, et ne manque pas de relever le spectacle Sleep no more de Punchdrunk à New-York (2011).
Cette création a connu un succès retentissant. Au point d’imposer son format à toutes les créations de théâtre immersif récentes : un vaste lieu clos redécoré pour l’occasion (un hôtel des années 30, un bordel des années 20, un hôtel particulier des années 50 etc…), comprenant plusieurs pièces dans lesquelles des actions se déroulent simultanément. Le public doit choisir quels acteurs il suit, et donc, ce à quoi il assiste.
Pourtant, le Théâtre de l’Unité faisait tomber le quatrième mur bien avant les années 2000. Dès les années 1980, leurs spectacles prennent à partie leur public. Par exemple avec La guillotine qui voit une véritable guillotine se monter sur la place d’un village tandis que sonne le tocsin. Les spectateurs amassés se retrouvent alors immergés malgré eux dans leurs propres rôles de badauds venus assister à un spectacle lugubre.
Ou encore avec La fête du malheur (1998) où la compagnie affrète des cars pour déplacer 200 spectateurs déjà installés dans les sièges de velours. Sous couvert d’une panne d’électricité au théâtre, ils sont emmenés dans le jardin d’un pavillon où le comédien dans son propre rôle interagit avec la pseudo résidente de l’habitation. Farce ou immersion ? Le quatrième mur, lui, est bel et bien explosé.
Il y a finalement fort à parier que le théâtre immersif ait existé bien avant que quiconque ne puisse en consigner la naissance.
Avec La Noce, nous avons choisi d’aller à contre-courant de la norme actuelle de l’immersif. L’action a lieu autant que possible en extérieur, et l’histoire ne se déroule pas entre 1920 et 1950, mais de nos jours.
Catherine Bouko relève encore que la trame dramatique est réfléchie de telle sorte que le spectateur (ou immersant) ne se déplace qu’au sein d’événements pré-écrits. Cela est vrai pour une partie des productions où le public est masqué et tenu au silence. Il existe néanmoins des spectacles qui laissent une part importante à l’interactivité avec le public comme La Grande Suite de 359 Degrés ou Close de Big Drama.
De notre côté, nous avons choisi de laisser une place à l’improvisation. Il n’est pas exclu que vous soyez alpagués par votre prénom par les mariés eux-même pendant le vin d’honneur. Après tout, vous êtes l’un des invités !
À ce moment là, le spectateur n’est plus un observateur externe ; sa présence est intégrée à l’action.
Laurent Diebold explique : « C’est l’une des forces d’avoir choisi un vaste lieu ouvert plutôt que plusieurs pièces. Le public n’est pas dispersé, chacun peut se trouver confronté à l’un des comédiens, consciemment ou non d’ailleurs. Nous avons présenté pour la première fois ce spectacle au Fort de Vaise. Un lieu exceptionnel avec une vue imprenable sur la basilique de Fourvière. Mais nous aurions tout aussi bien pu le faire dans un parc public, dans un jardin ou même une salle des fêtes. Notre spectacle immersif est plus mobile que beaucoup d’autres astreints à un lieu, une ambiance. Un mariage peut avoir lieu partout !«
L’immersion est finalement l’art d’embarquer l’immersant dans la fiction, de le convaincre qu’il partage un même univers fictif avec les personnages. Le rôle du public varie, il va de la simple déambulation en suivant les personnages à une véritable interaction avec eux.
Mais même dans le schéma le moins participatif, l’artiste laisse une place au spectateur.
Et lorsque celui-ci se saisit du dispositif et décide d’y croire en convoquant son imaginaire, la magie opère. Il est transporté dans l’histoire qui se joue autour de lui, avec lui, et peut se laisser aller à attraper le bouquet que vient de lancer la mariée.

Pour en savoir plus sur notre format immersif :
Sources :
Théâtre de l’Unité – https://www.artcena.fr/artcena-replay/au-theatre-qui-rue-documentaire-sur-le-theatre-de-lunite
« Engagement du spectateur et théâtre contemporain » , Catherine Bouko – Tangence n°108 (2015)